
La « sécurité alimentaire » est par définition, une situation qui garantit à tout moment à une population, l’accès à une nourriture à la fois sur le plan qualitatif et quantitatif. Elle doit être suffisante pour assurer une vie saine et active, compte tenu des habitudes alimentaires. L’autre définition de la sécurité alimentaire est d’assurer que les moyens économiques pour se procurer de la nourriture existent, et que cette nourriture puisse être achetée à un prix abordable.
Pour notre interlocuteur ci-dessous, c’est l’accès à toutes les personnes à une alimentation saine et à tout moment. A notre avis, toutes ces définitions se valent et se recoupent, c’est-à-dire donnent l’impression de définir le concept et de la même façon.
Pour en parler, nous avons rencontré Ibrahim Bah, spécialiste de la question de sécurité alimentaire. Avec lui, nous avons échangé autour d’une éventuelle insécurité alimentaire qui menacerait le monde et qui pourrait atteindre jusqu’à 47 millions de personnes en raison de la pandémie de Covid-19 et ses répercussions socio-économiques dévastatrices, selon le Programme alimentaire mondial (PAM).
On vous propose de lire ci-dessous, l’intégralité de l’interview réalisée par Younoussa Sylla.
Earthguinea : Bonjour Monsieur !
Ibrahim Bah : Bonjour !
Earthguinea : Dites-nous, qu’est-ce que la sécurité alimentaire ?
Ibrahim Bah : Avant de parler de la sécurité alimentaire, il faut rappeler que dans sa définition originale, c’est l’accès à toutes les personnes à une alimentation saine et à tout moment. Maintenant parler de la sécurité alimentaire, il faut forcément citer les quatre piliers :
Le premier pilier, c’est la disponibilité alimentaire : lorsqu’il n’y a pas de disponibilité alimentaire, on ne peut pas parler de sécurité alimentaire. La disponibilité alimentaire, c’est lorsque vous sortez de chez vous tout de suite, vous voulez à manger, il faut que le manger soit disponible sur le marché ou à la maison. C’est-à-dire, il faut toujours avoir un stock alimentaire chez vous, sinon vous devenez assez vulnérable.
Le deuxième pilier, c’est l’accessibilité : l’accessibilitépeut être physique ou économique. Nous avons en Guinée des grandes zones de production, mais l’accès à ces endroits n’est pas facile. Ça c’est l’accès physique. Maintenant l’accès économique, c’est quand il y a à manger mais vous n’avez pas les moyens pour acheter, et là vous êtes tout de suite confronté à l’insécurité alimentaire.
Le troisième, c’est l’instabilité alimentaire ; en principe, quand on est en sécurité alimentaire, on doit avoir à tout moment à manger, donc c’est stable.
Le quatrième pilier, c’est un peu l’aspect sanitaire et nutritionnel. Aujourd’hui, on ne dissocie pas la sécurité alimentaire à la nutritionnelle, c’est pourquoi on dit sécurité alimentaire et nutritionnelle. Il y a aussi l’utilisation, c’est-à-dire comment utiliser les aliments. Il faut donc les utiliser à bonne essence.
Pouvez-vous nous parler un peu de l’évolution de la question de sécurité alimentaire dans le monde ?
L’évolution de question de sécurité alimentaire et nutritionnelle a évolué depuis des années. De 1940 à 1950, il y a eu l’écoulement de la sécurité alimentaire ; Les années 60, il y a eu l’alimentation juste pour le développement ; les années 70, il était question de l’assurance alimentaire ; Les années 80, c’est la sécurité alimentaire élargie ; Et les années 90, c’est la libération de la faim et la malnutrition ; Et depuis 2000, c’est l’alimentation et nutrition pour la réduction de la pauvreté et le développement.
A votre souvenance, est-ce que la Guinée a-t-elle connu une crise alimentaire ?
Si vous vous rappelez bien en 2008, il y a eu des émeutes de la faim, partout c’étaient des manifestations en Guinée. Ce soulèvement a amené ce pays à réfléchir sur cette question. Aussi, dans les pays du Sahel, comme ils sont assez vulnérables par rapport au climat, ils ont pensé à la mise en place des stocks nationaux de sécurité alimentaire. Je connais le cas spécifique du Burkina Faso qui a un stock national de sécurité alimentaire, lorsqu’il y a choc. Il peut y avoir choc climatique, choc sanitaire. Et c’est ce que nous sommes en train de vivre actuellement.
Regardez en Guinée, rien que la filière pomme de terre de Timbi Madina, les pertes sont énormes, car c’est tout une chaine de valeur, à commencer par le producteur jusqu’au dernier consommateur, toute la filière est touchée. Le producteur qui est là, il récolte, il n’a pas la possibilité d’écouler sa marchandise, le transporteur qui devrait aussi écouler ces marchandises, la main d’œuvre est là, et c’est tout ce que nous nous appelons en termes technique la chaine de valeur.
Pouvez-vous nous citez quelques conséquences de la malnutrition ?
Vous savez, on ne doit pas manger quand on veut et comme on veut. Il faut éviter certains aliments surtout quand on atteint un certain âge. Vous voyez souvent les enfants qui sont frappés par la malnutrition. A ce niveau aussi il y a trois formes de malnutrition : la malnutrition aigüe, sévère et modérée. Vous verrez les enfants qui ont des gros ventres, les pieds sont petits, grosses têtes, c’est une forme de malnutrition. Il y a aussi les œdèmes, vous allez voir un enfant ses pieds sont enflés, dès que vous appuyez le doigt ça laisse la trace, c’est ce qu’on appelle les œdèmes, c’est une maladie nutritionnelle. C’est pourquoi l’allaitement est recommandé jusqu’à six mois obligatoirement pour un bébé.
Avez-vous déjà reçu une plainte des mains d’un producteur par exemple concernant sa perte subie en cette période de Covid-19 ?

Il y a même un rapport que les producteurs d’ananas viennent de nous envoyer, les pertes sont énormes. Vous avez vu que cette année même en période de mangue, ça coute cher à Conakry. Une seule mangue coûte 5000 francs, vous avez vu pour quelqu’un qui gagne difficilement 2000 francs, comment celui-ci peut-il se permettre de s’acheter une mangue ? La période de mangue vous constaterez qu’il y a eu une certaine abondance sur le marché.
Selon vous, quelle politique faut-il pour garantir la sécurité alimentaire en Guinée ?
La question de la sécurité alimentaire est transversale. Pour réussir une sécurité alimentaire durable, il faut la maitrise de tout un ensemble. Aujourd’hui pour compter sur la culture fluviale, il faut la maitrise de l’eau, si vous ne maitrisez pas de l’eau, vous faites une seule récolte par an. Et cela ne peut pas garantir la sécurité alimentaire. Vous allez voir dans un ménage, lorsque que le ménage n’a pas de disponibilité alimentaire, il devient vulnérable. Regarder le choc sanitaire, on dit confinement, un ménage qui était vulnérable avant le choc sanitaire, et le choc sanitaire trouve ce ménage vulnérable, le choc sera au rouge. Et lorsque le choc est au rouge, ça devient plus compliqué.
Au niveau du secteur agricole, il faut subventionner les agriculteurs, il faut que cette question foncière soit réglée. Il faut maitriser aussi l’eau, si on maitrise l’eau, on peut faire trois récoltes par an. Par exemple, il y a des gens qui mettent la pomme de terre comme première culture, après la récolte ils mettent le riz, et après ça ils mettent du niébé etc, donc ça leur permet d’avoir un stock alimentaire et subvenir à certains besoins, se nourrir, se loger et amener les enfants à l’école. Aussi il faut qu’il y ait de l’électricité.
Quel message lancez-vous à l’endroit des agriculteurs guinéens qui courent aujourd’hui un risque énorme à cette période de Covid-19 ?
Vous savez, nous avons notre politique de développement agricole pour répondre à tous les exigences. Je dirais aux agriculteurs que cette pandémie est passagère, donc de resserrer la ceinture, et de respecter les mesures barrières. Je pense qu’en respectant ces mesures barrières, nous pouvons combattre la maladie dans le meilleur délai pour reprendre la vie normale.
Merci M. Bah !
Je vous remercie !
Sylla Youn, pour earthguinea.org