Avant, la République de Guinée était réputée comme étant le premier pays à valoriser le métier de la teinture au niveau de la sous-région ouest-africaine. De nos jours, ce titre est révolu à cause de sa faible production locale due à l’arrêt des usines de textiles qui fonctionnaient pendant le premier régime. Ce manque de constance sur le marché a donné l’occasion à d’autres pays, au-delà même de l’Afrique, de contrefaire le tissu guinéen, en complicité avec certains de nos compatriotes.

Pour stopper cette pratique qui a longtemps existé, les autorités de la transition ont pris une décision, à travers un arrêté conjoint signé du ministère du commerce et celui de la culture, pour interdire l’importation et la vente du tissu communément appelé ‘’faré yaré’’, au motif de préserver la production artisanale locale.

Se réjouissant de cette décision, la présidente du Réseau des Femmes Artisanes de Guinée, Hadja Fatoumata Doumbouya,  souhaite que cette décision soit pérenne et non pas une vive émotion.

« Il ne s’agit pas de prendre une décision interdisant la pratique d’une chose. Il faut mettre le suivi. Car nous enregistrons dans notre pays l’inondation du marché par des contrefaçons de tissus, mais ce n’est pas seulement des tissus mais c’est les motifs qui ont été pensés et créés par nos artisans qui ont été reproduits dans un travail que le guinéen peut se réclamer propriétaire. Parce que ça a été initié et fabriqué en Guinée. Donc prendre nos motifs et partir les reproduire ailleurs et venir nous les revendre, c’est là que nous ne comprenons pas. Ils pouvaient cependant aller le commercialiser ailleurs, mais venir vendre ça encore chez nous, à la population guinéenne, alors que vous voulez vous que je dise. Donc nous n’avons que nos yeux pour pleurer ». 

Hadja Fatoumata Doumbouya déplore surtout le manque de patriotisme chez certains guinéens qui trouvent du plaisir en important ces pagnes de la Chine pour venir inonder le marché guinéen et les revendre à moindre coût.  

« C’est malheureux de la part de certains compatriotes guinéens qui  accompagnent l’idée de commercialisation de ces tissus en République de Guinée. Ils ont raison, pourquoi ? Puisque l’importation a été permise dans notre pays. La commercialisation n’a pas été interdite, on a plutôt laissé la chose perdurer dans le temps. Ils devaient réagir à chaud. Nous, nous sommes là pour protéger les artisans, être la voix des sans voix. Et pourtant nous avons le ministère de tutelle, la direction nationale de l’artisanat, nous avons aussi l’office national de la promotion de l’artisanat, et là ça dit tout. Donc qu’est-ce que ces services ont fait pour interdire l’importation de ces tissus. Et qu’aujourd’hui certaines populations y trouvent leur intérêt. Tout simplement parce qu’ils peuvent avoir par exemple trois pagnes à 45 000 francs au lieu de 120.000 francs ou plus. Mais si on avait informé la population sur le processus de teinture, c’est-à-dire de l’attacheur jusqu’au tapeur où il y a au moins cinq étapes à observer avant d’avoir la finalité. Et la finalité, le dernier acteur qui rentre en ligne de compte c’est le tapeur ».

Les artisans guinéens ne bénéficient pas de subvention, selon les dires de notre interlocutrice, ils évoluent de leurs propres moyens. La présidente du Réseau des Femmes Artisanes de Guinée déplore cet état de fait.

« Cette question est un peu complexe. Pourquoi ? C’est parce que nous sommes en train d’évoluer dans le cadre de l’artisanat, mais s’il y a une subvention qui est allouée à la corporation, surtout la filière artisanat et filature, nous nous ne savons pas. Ou bien si les fonds sont peut être alloués au secteur, c’est que ces fonds ont pris une autre destination mais pas avec nous les artisans. Aujourd’hui la production est en baisse considérable. Quand vous produisez un pagne, par exemple une pièce qui se vend à 450 mille, il faut 300 mille pour arrondir les frais. Donc quand vous additionnez 450 mille à 300 mille ça fait 700 mille. Alors si l’artisan guinéen a un bénéfice, ça ne sera pas plus de 200 mille francs dans tout le processus qui peut prendre deux ou trois jours pour sortir le motif d’une seule pièce. Et une pièce fait 30 yards. Mais les 30 yards-là ne peuvent faire que 8 complets, en raison de 4 yards  par complet. Alors, après tout ça la revente peut te prendre d’un à deux mois. Il n’ya pas de subvention. Et tu verras que l’artisan s’est endetté auprès d’une micro-finance. Elle va donc contracter ce prêt et après maintenant c’est la banque met pression parce qu’il faut rembourser. Les micro-crédits qu’on donne sont non seulement insuffisants, mais ils n’aident pas l’artisan à décoller. Les micro-finances ne peuvent pas te donner plus de 2 millions. Les  2 millions là, si tu les prends, tu les investis dans la teinture, tu peux rester pendant deux mois sans les écouler la marchandise parce que le marché guinéen est envahi par les tissus de contrefaçons. Et malheureusement, les populations préfèrent aller acheter les contrefaçons plutôt que d’acheter les bazins purs ».

Hadja Fatoumata Doumbouya regrette aussi la fermeture de certaines usines de production de textile, telle que l’usine de Sanoyah qui, aujourd’hui, sert à d’autres choses.

« Le tissu et le Bazin, sont deux choses différentes. Donc ce ne sont pas les chinois qui envoient ces bazins, ce sont les commerçants guinéens qui importent. Les usines chinoises n’ont fait que reproduire. Avant, nous avions aussi notre usine de textile de Sanoyah et c’est là-bas qu’on produisait nos pagnes, notre cotonnage. Et à l’époque, nos mamans faisaient de la teinture avec le cotonnage qu’on faisait dans notre pays, on n’importait rien. Et très malheureusement, on a perdu ces usines. Et pourtant la Guinée est le pays qui a donné le ton en matière de teinture, mais malheureusement la Guinée est première en tout et dernière en tout ».

Pour clore ses propos, la présidente du réseau des Femmes artisanes de Guinée a lancé une invite à l’endroit des acteurs de la filière artisanale à s’unir pour vaincre l’injustice sur leur marché. Et aux autorités, de prendre leur responsabilité pour que cet arrêté conjoint soit suivi.

« J’interpelle d’abord nous les artisans à évoluer ensemble, de nous donner les mains pour être forts. Parce que quand on est ensemble on est invincible, mais quand on est séparé, on perd. Et quand on perd malheureusement ce sont d’autres personnes qui viendront pour profiter des bénéfices. Aujourd’hui, l’artisan guinéen se plaint qu’a lui-même. On n’a pas où se plaindre. Donc de nous aider à commercialiser dans le monde lorsque nous sortons pour les foires internationales. J’interpelle aussi le gouvernement de tout mettre en œuvre pour que cet arrêté conjoint soit suivi et que ça ne soit pas remis en cause, qu’il garde son originalité et son mot d’ordre. Ça veut dire que le ministère du commerce et le ministère de l’artisanat ne peuvent pas se dissocier. Ils n’ont qu’à se donner la main pour sauver la Guinée. C’est tout ce que je peux dire. A bon entendeur, salut ! »

Sylla Youn, pour earthguinea.org

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